[MUSIQUE] [MUSIQUE] Nous allons maintenant nous intéresser à une transformation majeure du XXe siècle, le néo-libéralisme. Cette doctrine est devenue en moins d'un siècle, la rationnalité du capitalisme contemporain selon Pierre Dardot et Christian Laval. Elle a ainsi profondément transformé les modes de gouvernance, la mise au travail des individus, notamment des femmes mais également les rapports sociaux de genre. Pour analyser ces transformations, j'ai le plaisir d'accueillir Fenneke Reysoo, Directrice du Centre genre de l'Institut de Hautes études internationales et du développement de Genève. Dans le cadre de ses recherches anthropologiques engagées dans différentes régions du monde, en Afrique du Nord, en Afrique subsaharienne, au Mexique ou encore en Europe, Fenneke Reysoo a étudié dans une perspective de genre, les questions de développement au sein de la coopération internationale, les inégalités et exclusions sociales notamment en lien avec les droits et la santé reproductible, la féminisation des migrations et plus récemment, les femmes dans l'agriculture et la sécurité alimentaire. Fenneke Reysoo, bonjour. >> Bonjour. >> Pour commencer, j'aimerais vous poser une question d'ordre général. Pourriez-vous nous expliquer comment le néo-libéralisme marque de son empreinte les rapports de genre? >> Alors, si vous me permettez, pour accorder peut-être quelques notes préliminaires sur ce que l'on appelle le néo-libéralisme. Surtout le néo puisque le libéralisme bien sûr c'est une doctrine économique qui date déjà de la fin du XVIIIe avec Adam Smith, par exemple. Alors, le néo-libéralisme est une, vous le disiez tout à l'heure, une doctrine économique, certains disent que c'est une philosophie politique qui prône que le marché doit être ouvert et libre sans aucune entrave au commerce international. Souvent, on situe le début de cette ère, de ce système capitaliste néo-libéral avec Reagan et Thatcher par exemple, donc début des années 80. Moins bien connu est en fait que le Président Jimmy Carter aux États-Unis, vers 1977 a déjà mis en oeuvre des politiques qui relèvent de cette politique néo-libérale, c'est-à-dire déréguler l'intervention de l'État et ça doit se voir dans la période après-guerre où il y a eu la reconstruction de certaines économies, notamment en Europe après la deuxième guerre mondiale où avec un paradigme de Keynes, il y avait une intervention de l'État. Donc on laisse aller l'économiste qui, le protagoniste de cette doctrine c'est Milton Friedman qui a eu le Prix Nobel en 1976 et qui avait écrit ce livre, Free to choose. Donc c'est une liberté, sur le marché, sans entraves de l'État, donc ça il faut le tenir à l'esprit quand on parlera de la suite. Vous me demandez, quel a été l'influence du néo-libéralisme sur les rapports de genre? Alors, je voudrais juste remonter dans le temps, on connaît la première vague du féminisme à la fin du XIXe siècle, notamment pour les luttes des suffragettes pour les droits civiques et politiques mais en fait déjà à la fin du XIXe, il y avait aussi une mobilisation des femmes pour améliorer les conditions de travail, notamment dans cette industrialisation naissante, on peut penser aux droits des enfants mais aussi le droit pour les femmes mariées à travailler en dehors du foyer. C'était un mouvement plus bourgeois parce que ces femmes bourgeoises étaient dans le contexte du mariage et selon la théorie marxiste il y avait bien besoin aussi de la reproduction sociale à la maison. Donc, les femmes à la maison, pour créer de la plus-value et pour justement, tenir les salaires des ouvriers, notamment dans l'industrie, plus bas. En ce qui concerne la deuxième vague du féminisme dans les années 70, plus connue pour des revendications de contrôle du corps des femmes, notamment par exemple la lutte pour l'avortement mais en même temps, ça c'est intéressant maintenant quand on parle du néo-libéralisme il y avait aussi une revendication féministe dans les années 70, c'était en fait, de vouloir entrer ou revendiquer une place aussi dans le marché du travail parce qu'elles avaient une non-reconnaissance du travail à la maison notamment éduquer les enfants, faire le ménage etc. Et il y avait une sorte d'idée qui a pris forme, que quand on fait un travail non reconnu, on ne peut pas être heureux. Donc, elles voulaient rentrer sur le marché du travail et le discours néo-libéral dit qu'il faut utiliser les femmes comme potentiel économique qui n'est pas encore utilisé. Employer des femmes était une stratégie profitable pour les corporations car les femmes n'étaient pas seulement moins chères que les hommes mais elles étaient aussi moins syndicalisées et plus disposées à accepter du travail temporaire. Ceci a mené vers la féminisation du marché de l'emploi. Donc ça permettait de maintenir les salaires bas. Ça donnait du travail aux femmes et a émergé cette ouvrière globale qui a une dextérité, et qui peut être utilisée dans les usines dans des zones industrielles d'exportation. Cela a créé aussi des doubles-journées de travail pour autant qu'elles aient des tâches domestiques [INCOMPREHENSIBLE] et ça peut déstructurer des familles quand elles migrent par exemple des zones rurales vers les villes. En même temps, en Occident disons dans des pays riches, il y a des femmes qui ont plus de formation. Elles deviennent des femmes carriéristes, donc il y a des familles où les deux travaillent. Ça permet au niveau salarial de maintenir le salaire des hommes parce que le salaire familial disparait et dans un contexte global, ça permet aux femmes de la classe moyenne qui entrent sur le marché du travail, d'employer les femmes des pays plus pauvres comme bonne, domestique, nounou etc. De l'autre côté, les femmes qui gagnent de l'argent, que ce soit dans le sud ou le nord elles deviennent aussi des consommatrices donc elles peuvent entrer sur un marché global de mode et de fashion, alors les gadgétisations et le corps, le cosmétique etc. Et on peut y revenir plus tard quand on reparlera des changements de féminité et de masculinité. Une recherche récente que j'ai fait au Mali, Chic, chèque, choc montrait bien que des jeunes femmes s'engagent dans des relations économico-sexuelles où justement elles rentrent dans des échanges sexuels pour avoir de l'argent pour se payer des gadgets. Parallèlement dans cette démarche de l'économie inclusive de la doctrine libérale, il faut aussi inclure les femmes en leur donnant la possibilité de devenir entrepreneurs ou même de consommatrices par des crédits mais qui dit crédits dit dettes. Et, souvent, devenir entrepreneur dans des pays où justement les marchés sont envahis par des produits industriels fabriqués à bon marché nest pas toujours favorable à se développer en tant qu'entrepreneur et faire des bénéfices. Donc là, il y a une contradiction de ce système d'accès à la propriété et au crédit et autres moyens financiers. >> Fenneke Reysoo, je vous remercie. [MUSIQUE] [MUSIQUE]