Dans l'introduction du premier chapitre, Bénédicte Faivre-Tavignot a expliqué que nous vivions une période charnière. Soit nous subissons la crise, soit nous décidons d'être acteurs. Arrêtons-nous un instant. De quelle crise parle-t-on ? C'est peut-être le président Jacques Chirac qui l'a résumé le plus clairement, il y a plus de douze ans, le 2 septembre 2002, lors de l'avant-dernier jour du sommet mondial sur le développement durable, le sommet de la Terre, à Johannesburg. Tout le monde se souvient de la phrase : "Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. "Mais qu'a-t-il dit ensuite ? Deux autres phrases importantes : "Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas" et "Prenons garde que le 21e siècle ne devienne pas pour les générations futures celui d'un crime de l'humanité contre la vie". "Crime de l'humanité contre la vie…" Le moins qu'on puisse dire c'est que Chirac n'y est pas allé avec le dos de la cuillère. "Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. "Même si le constat n'est guère réjouissant, il faut en effet regarder la situation en face. Cela va me prendre quelques minutes et vous me pardonnerez, j'espère, de faire un portrait un peu cru et un peu long de l'incendie. L'équipe de Ticket for change a cherché longtemps quel serait le messager, et c'est tombé sur moi. Résumons la situation en trois grands points autour de la question centrale des ressources par habitant. Nous avons un problème de ressources : le numérateur. Nous avons un problème de population : le dénominateur, et nous avons un problème de croissance de ces inégalités, ressources divisées par population, la divergence de ce ratio. Premier point, le numérateur, la question des ressources. Les ressources effectives dont nous disposons diminuent et vont continuer à diminuer d'une façon drastique. Ce phénomène a deux causes principales distinctes mais liées : d'une part le capital de ressources décroît et d'autre part notre aptitude à en disposer diminue aussi. On va le voir, chacune de ces deux causes peut à son tour se décomposer en deux aspects. Commençons par l'inquiétante diminution du capital ou stock de ressources dont l'humanité dispose. Il est utile ici de distinguer les ressources fossiles des ressources vivantes. Les ressources fossiles, pas uniquement l'énergie, s'épuisent. Le pétrole bien sûr, avec un pic de production déjà atteint depuis 2006 pour les plus pessimistes, un plateau stable jusqu'en 2035 pour les autres. Mais le pic de production ne concerne pas que le pétrole. Le problème est similaire pour les autres sources d'énergie : le gaz, le charbon à un moindre degré. Pour les métaux, cuivres, nickels, cobalts, tungstènes, métaux rares, pour le phosphore, pour l'uranium, Richard Heinberg a publié un livre appelé Peak Everything, qui montre bien que le problème de ressources est général. Le constat est clair : nous ne pouvons tout simplement pas continuer à consommer autant de ressources naturelles. Les ressources vivantes ensuite. Il s'agit bien sûr ici de la question de la biodiversité. 25 000 à 50 000 espèces disparaîtraient chaque année. Le problème est que la nature n'est pas capable d'évoluer au rythme qui lui est imposé par l'homme. 50 % des espèces vivantes pourraient ainsi disparaître d'ici demain, d'ici 2050. Deuxième aspect, les ressources s'utilisent sous certaines conditions, en particulier la température et l'espace. Ces paramètres évoluent tous les deux de manière négative. D'une manière plus explicite, la crise du climat et la diminution des territoires vont avoir un impact négatif important sur le stock de ressources. Pour le climat, selon la formule de Paul Crutzen, le Prix Nobel de chimie, nous sommes passés depuis 1950 environ d'une période relativement stable qui durait depuis 12 000 ans, l'Holocène, à une nouvelle période, qu'il appelle l'Anthropocène. Ce terme, anthropos, marque que pour la première fois c'est l'homme qui, par son activité, a un impact sur le climat. Quelques chiffres : les émissions de CO2 annuelles ont doublé entre 1960 et 1980 de 10 à 20 milliards de tonnes. Et elles ont encore doublé de 1980 à 2013, entre 36 et 40 milliards de
tonnes. Les conséquences sont de plus en plus claires. Le cinquième rapport du GIEC, publié en novembre 2014, a relevé ses prévisions de croissance moyenne des températures pour atteindre +4,8 ° C en 2100 pour son scénario le plus pessimiste, et avec des conséquences encore méconnues sur l'élévation des océans, peut-être un mètre d'élévation, une augmentation des précipitations dans les zones humides et une augmentation des sécheresses dans les zones sèches, et une acidification des océans. Deuxième facteur diminuant notre aptitude à utiliser les ressources, la question des territoires, et le problème de notre consommation galopante d'espaces. En France, les surfaces artificialisées augmentent d'environ 60 à 75 000 hectares par an, soit un département en sept à dix ans. 1 % du territoire français.